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Autos et motos : Immersion dans le monde des courses illégales

Presque chaque samedi soir, des Mauriciens, passionnés de motos ou de voitures, se retrouvent pour faire la course sur la route. En l’absence de circuits, ils s’affrontent au milieu de la circulation se mettant eux-mêmes en danger, mais aussi et surtout les usagers de la route et les spectateurs qui viennent nombreux en bordure de route. Si les accidents graves sont rares (heureusement), nous verrons que des incidents peuvent survenir. Le Défi Moteurs s’est immergé dans le monde des courses illégales mauriciennes.

Lors de notre enquête, nous avons appris que des automobilistes se rassemblent le samedi soir sur le parking d’une station-service à Moka avant d’aller sur une portion d’autoroute. Histoire de « se défouler ». Nous décidons donc de nous rendre à l’un de ces rassemblements. Il est 22 h 30 lorsque nous arrivons sur le parking de la station-service. Et malgré l’heure tardive, il y a foule. Au milieu des voitures de bons pères de famille venus se ravitailler, plusieurs autos modifiées ont du mal à passer inaperçues. Des personnes, souvent de jeunes hommes, discutent en petits groupes. Bien entendu, les conversations tournent autour des voitures et de leurs modifications. Ces véhicules sont rabaissés, disposent d’appendices aérodynamiques, arborent des couleurs flashy et ont des jantes surdimensionnées. Mais surtout, leurs moteurs et leurs échappements ont été modifiés pour délivrer plus de puissance et plus de son.

Nous abordons un premier groupe. Un jeune homme explique qu’il est adepte de ces « compétitions sauvages », mais qu’en ce moment, sa voiture est en réparation. Il nous indique que les participants vont progressivement se rendre sur l’autoroute M3 Terre-Rouge/Verdun. Notre interlocuteur précise que des courses illégales s’y déroulent tous les samedis soirs. Quand nous l’interrogeons sur l’intervention de la police, il répond : « lorsque les policiers arrivent, nous changeons de place. C’est le jeu du chat et de la souris ». Un autre jeune homme est moins confiant. « Il est 23 heures, c’est encore bon. Mais vers minuit, on a des problèmes avec la police. C’est pourquoi je préfère ne pas y aller, je me contente de venir ici (ndlr : à la station-service) », prévient-il.

Nous allons vite savoir s’il dit vrai, car en voyant un groupe de voitures modifiées quitter le parking, nous décidons de les suivre. À peine entrés sur l’autoroute à hauteur de Moka, les conducteurs commencent à accélérer et à doubler les autres usagers de la route par la droite, mais aussi par la gauche. Ils prennent la direction du Sud jusqu’à Ébène où ils s’engagent sur la M3. Nous les perdons de vue car ils profitent du peu de trafic pour accélérer. Après quelques kilomètres, nous arrivons sur le lieu où se déroulent les courses illégales.

Des dizaines de voitures, voire une centaine, sont garées sur le bord de la route dans les deux sens de la circulation. Le circuit est simple : les deux voies en direction de Terre-Rouge, un premier rond-point pour faire demi-tour, les deux voies dans l’autre sens et un second rond-point pour boucler la boucle.

Au bord de ce circuit improvisé, il y a les voitures « normales » de spectateurs, et des autos modifiées qui sont là pour en découdre. La première chose qui se remarque, c’est qu’il n’y a pas d’organisation. Chacun fait ce qu’il veut. Certaines voitures tournent seules sur le tracé, d’autres se défient en duel. Dans le cas de ces courses en duo, les deux participants s’arrêtent côte à côte, puis démarrent en trombe. Les échappements modifiés augmentent le bruit, les pétarades et la puissance des autos. Une voiture de police fait son apparition. Elle passe sans s’arrêter, gyrophares allumés. Personne ne réagit et les courses continuent.

En cas de perte de contrôle de l’un des participants, les conséquences peuvent être dramatiques, car il y a des voitures mais surtout des spectateurs juste au bord de la route. En sus, d’autres usagers de la route continuent de passer sur ce « circuit » au milieu des courses. Ce soir-là, aucun accident n’est à déploré, mais il a failli en avoir un lorsqu’un participant, qui s’était garé au bord de la route, s’est engagé alors que deux motocyclettes et trois voitures passaient à sa hauteur. Un motocycliste a effleuré le pare-chocs de l’auto et une autre voiture a dû brusquement changer de voie en coupant la route à un autre automobiliste.

Il est 23 h 30 et les runs battent leur plein. Soudain, un groupe d’hommes nous abordent remarquant que nous prenons des images des courses. Le ton est cordial, mais le message est clair : interdiction de publier des photos ou des vidéos sur les réseaux sociaux, et encore moins dans les médias. Ces « pilotes » hors la loi veulent rester discrets. Pourtant, cela ne va pas durer. À minuit, comme l’avait prévu l’un de nos interlocuteurs à Moka, c’est maintenant près d’une dizaine de voitures de police de l’Emergency Response Service (ERS) qui débarquent, sirènes hurlantes. C’est la panique parmi la majorité des participants et des spectateurs. Beaucoup se jettent dans leurs autos et démarrent en trombe. Certains, estimant sûrement qu’ils n’ont rien à se reprocher, restent sur place. Quelques voitures de police s’arrêtent pour contrôler des automobilistes. Les autres tournent sur le « circuit » pour éviter que reprennent les courses illégales. Visiblement, c’est efficace. Le conducteur d’une auto modifiée est contrôlé par les policiers. Ceux-ci lui reprochent de ne pas avoir de plaques à l’avant. L’homme s’énerve, le ton monte. Nous nous approchons. Un policier nous remarque et nous aborde. Nous lui expliquons la raison de notre présence. Il confirme que les courses illégales se tiennent tous les samedis soirs. « Chaque semaine, c’est la même chose. Ils ne comprennent pas que ce qu’ils font est dangereux pour eux et pour les autres usagers de la route. Il est temps que le gouvernement mette un circuit à leur disposition. Nous ne les arrêtons pas, nous les empêchons juste de continuer leurs courses illégales », confie l’agent.

Motocyclettes modifiées

Infiltrer le monde des courses illégales est un processus long et difficile. Les participants se savent dans l’illégalité, c’est pourquoi ils préfèrent rester discrets et ils se méfient donc des journalistes. Après différentes tentatives vaines, nous réussissons finalement à entrer en contact avec un groupe de jeunes Portlouisiens, adeptes des courses de motos nocturnes. Le rendez-vous est donné dans un petit atelier de mécanique moto dans la capitale. Nous y sommes les bienvenus à condition de ne pas dévoiler le lieu du garage, les noms des jeunes et les immatriculations des deux-roues. Le petit local compte de nombreuses motos de petites et moyennes cylindrées. Certaines sont presque prêtes à prendre la route, d’autres désossées demandent encore des heures de travail. Des pièces détachées, (pots d’échappement, entre autres), sont stockés dans le local. En sus des motocyclettes, une dizaine de jeunes hommes sont présents. On constate qu’il s’agit non seulement de clients du mécanicien, mais surtout d’un groupe d’amis. Les conversations tournent évidemment autour des motos.

Jason (prénom modifié), l’un des motocyclistes adeptes des courses illégales, a commencé cette pratique alors qu’il n’avait que 15 ans. Ce jeune homme de 26 ans pilotait alors une moto de 125 cc. Aujourd’hui, il dispose d’un engin de moyenne cylindrée modifié. À travers notre visite, Jason souhaite faire passer un message auprès du grand public et des autorités. « Le gouvernement ne nous aide pas, il ignore le sport mécanique en général, et les courses de motos en particulier, car il considère que c’est un sport extrême. Le sport moto n’est pas reconnu. On demande un soutien du gouvernement qui doit investir dans un circuit qui sera rentable. Il ne faut pas que les frais pour y rouler soient trop chers pour attirer le plus grand nombre de motocyclistes qui font des courses illégales. Ils seront intéressés par le prestige d’être des champions reconnus et de représenter le pays dans des courses à l’étranger. On veut avoir des courses légales à travers une fédération qui regroupe tous les clubs », confie Jason.

Le mécanicien est considéré comme un chef d’équipe. C’est le fédérateur du groupe, tout en étant le préparateur des machines. Les propriétaires des motocyclettes lui confient la modification de leurs engins. Dans le moteur, les améliorations concernent les pistons, l’arbre à cames, les cylindres, et le carburateur. Mais cela ne s’arrête pas là, la boîte de vitesses, les freins, les amortisseurs, les pignons et le pot d’échappement sont modifiés. Ensuite, il y a ceux qui privilégient le look avec une peinture originale, par exemple, et ceux qui souhaitent gagner de la performance en allégeant le plus possible leurs engins. Ces derniers retirent donc ce qu’ils considèrent comme superflus tels que le compteur et les phares, puis ils allègent le cadre, le réservoir et les jantes. Certains n’hésitent pas à installer un moteur plus gros, comme un 250 cc à la place d’un 150 cc, par exemple. L’objectif de toutes ces modifications n’est pas d’avoir une vitesse de pointe importante, mais une accélération la plus forte possible car les courses se passent sur une distance de 400 mètres.

Nous avons sollicité le service de communication de la force policière afin de comprendre quelles sont les mesures prises pour lutter contre le phénomène des courses illégales à Maurice. L’inspecteur Shiva Coothen, du Police Press Office (PPO), nous confie que des opérations sont régulièrement menée sur le terrain. « Toutefois, quand la police arrive, tous les participants déguerpissent. Nous ne procédons pas à des arrestations sauf en cas de délits graves, comme la conduite sous l’emprise d’alcool, mais nous dressons des contraventions. Nous ne pouvons pas les pourchasser car cela pourrait provoquer des accidents. Nous demandons la collaboration des membres du public afin de nous signaler les courses illégales quand ils en sont témoins en appelant le 148. Dès qu’on nous informe de la tenue d’une course illégale ou si nous en apprenons l’organisation avant qu’elle n’ait lieu, nous intervenons », explique l’inspecteur Shiva Coothen. Le responsable de la cellule de communication de la police ajoute qu’il est difficile de faire de la sensibilisation directement auprès des adeptes de courses illégales car « ils refusent le dialogue et partent lorsque qu’ils voient la police arriver ».

Les courses illégales ne semblent pas aller vers une baisse à Maurice à en croire l’enthousiasme des participants et l’incapacité de la police à prendre des actions fortes.

L’impressionnante transformation d’une mini Honda :

Les adeptes de courses illégales ne passent pas tout leur temps à conduire leurs engins, ils s’adonnent également à leurs modifications. L’objectif étant d’augmenter leurs performances mais aussi de leur donner un look plus original. Lors de notre enquête, nous avons découvert une motocyclette modifiée à l’extrême. Seule la partie principale du cadre est encore d’origine. Il s’agit d’une Honda PF50 datant des années 1970, mieux connue à Maurice sous le nom de mini Honda. Le nouveau propriétaire a tout changé sur cette machine pour en faire une moto de course. Elle dispose aujourd’hui, entre autres, d’un moteur de 160cc, d’un guidon sport, de freins améliorés et d’amortisseurs modernes.

 Avant :

Après :

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